Haraj : L’appli Saoudienne sur laquelle on peut acheter des esclaves

« Elle travaillera jour et nuit et n’a pas besoin de repos« , vante Noura, femme au foyer à Riyad. Faisant signe à la femme de ménage ougandaise recroquevillée à côté d’elle, elle ajoute : « Si elle fait quelque chose de mal, envoyez-la simplement dans sa chambre et ne la laissez pas sortir. »

Noura, qui agrippe ses lunettes de soleil Gucci tandis qu’elle négocie un prix de 3 500 £ pour la femme de chambre, est impatiente de conclure rapidement l’affaire en s’adressant au journaliste infiltré du Times : « Je peux l’emmener chez vous ce soir« , dit-elle. « Si vous n’êtes pas encore sûr, pas de problème, vous pouvez la louer à la place…Mais dites-le-moi maintenant, car d’ici demain, quelqu’un d’autre l’achètera. »

Noura a mis sa domestique en vente sur l’application Haraj.sa, le plus grand marché en ligne d’Arabie saoudite, sur lequel une enquête du Times montre que des centaines de travailleurs domestiques font l’objet d’un trafic illégal et sont vendus aux plus offrants.

Sur ce marché noir à peine déguisé, des dizaines d’annonces sont publiées chaque jour par des citoyens saoudiens qui vendent, achètent ou louent des travailleurs immigrés en tant que femmes de chambre, femmes de ménage, nounous et chauffeurs. Les journalistes du Times ont pu consulter au moins 200 annoncent de ce type.

L’application, qui a enregistré 2,5 millions de visites l’année dernière (plus qu’Amazon ou AliExpress dans le royaume) est toujours disponible sur les stores Apple et Google Play malgré les alertes des rapporteurs spéciaux de l’ONU en 2020 pour avoir facilité l’esclavage moderne.

En Arabie saoudite, qui compte la troisième plus grande population immigrée au monde, les travailleurs étrangers peuvent vivre et travailler grâce au système Kafala, dans lequel un citoyen saoudien endosse le rôle de « Kafeel » et devient légalement responsable du travailleur, de ses contrats de travail et de ses titres de séjour. L’année dernière, le gouvernement saoudien a déclaré qu’il avait « réformé » ce système dans le cadre de du programme « Saudi Vision 2030 », visant à ouvrir le pays au monde. Ce programme offrirait des libertés supposées plus grandes, notamment en permettant aux travailleurs d’ouvrir des comptes bancaires, de changer d’emploi et de quitter le pays sans autorisation.

Cependant, ces nouvelles libertés ne s’appliquent qu’aux personnes travaillant dans certains secteurs privés, en particulier l’industrie des hydrocarbures. Quatre millions de femmes et d’hommes travaillant comme domestiques, agriculteurs et chauffeurs sont toujours soumis aux restrictions du système Kafala.

Source : The Times